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« Ceux qui font monter les prix du foncier, ce sont les agriculteurs eux-mêmes »

Thierry Bussy a été élu président de la FNSafer le 27 août 2025.

Après le départ controversé d’Emmanuel Hyest à la tête de la Safer Normandie et mécaniquement de l’organe national, la FNSafer, Thierry Bussy, président de la Safer Grand Est, lui a succédé pour un mandat de trois ans. Le nouveau président s’inscrit dans la continuité et fait du renouvellement des générations en agriculture sa priorité.

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Vous avez été élu dans des conditions particulières suite à l’éviction surprise d’Emmanuel Hyest. Que s’est-il passé ?

Les conditions, je ne les connais pas forcément en totalité. Il semblait qu’il n’y avait pas de difficulté pour Emmanuel (N.D.L.R. : concernant sa réélection à la tête de la Safer Normandie). Il était même plutôt serein, voire confiant, la semaine d’avant. Le jour du conseil d’administration électif, cela s’est passé d’une manière qui n’était pas forcément très brillante ni très honorable pour personne. Il faut qu’on soit prudent par rapport à ce qu’on fait dans nos instances, car on est regardé. Maintenant, il faut avancer. Nous sommes attendus sur beaucoup de sujets.

La Confédération paysanne et la Coordination rurale, ont réagi en s’inquiétant du virage pris par la Safer à la suite du départ d’Emmanuel Hyest, l’interprétant comme une remise en cause de la politique d’ouverture des Safer. Quelle est votre position sur l’ouverture de la gouvernance ?

J’ai toujours soutenu les propositions d’Emmanuel, et cela correspondait à ma vision. Il n’est pas question que je remette en cause les grandes décisions qui ont été prises ces dernières années. J’ai rappelé aux autres syndicats agricoles, qui nous interrogent sur l’ouverture, qu’ils avaient le droit de vote et une place prépondérante dans tous les conseils d’administration des régions depuis l’évolution de la loi, et qu’ils siègent dans tous les comités techniques. Mais je leur ai dit qu’il ne s’agit pas d’avoir des places pour avoir des places : il faut siéger. Je ne suis pas contre l’ouverture à partir du moment où elle est « raisonnée », parce qu’on ne peut pas ouvrir à des minorités qui ne représentent qu’eux-mêmes. Je ne vais pas remettre en cause tout le travail qui a été fait depuis 10 ans. J’ai toujours suivi cette ligne.

Vous avez mentionné que les Safers sont attendues sur de nombreux sujets. Lesquels ?

Nous sommes attendus par rapport à nos missions, qui sont larges. Il faut que nous soyons transparents, tout en gardant la confidentialité des débats dans les comités techniques. Il faut aussi avoir une ligne claire au niveau de la FNSafer – ce qui était déjà le cas -, notamment sur le sujet du renouvellement des générations. Il faut aussi encadrer les cessions reprises pour éviter d’aller vers des choses qui sont délirantes en termes de prix dans certaines régions, car cela pose des problèmes pour le renouvellement des générations. Nous avons aussi des problématiques non réglées sur le travail en prestation totale. Dans certains départements ou certaines régions, cela prend une ampleur dramatique. Le travail en prestation totale, c’est pour moi de la financiarisation. Ce sont souvent des gens éloignés de l’agriculture qui gèrent un patrimoine comme un portefeuille d’actions. Ces modèles gangrènent l’installation des jeunes. Il y a également le statut du fermage qu’il faut dépoussiérer sans le balayer, et la question du statut de l’agriculteur.

Le renouvellement des générations est votre combat prioritaire ?

Oui. Il faut absolument renouveler plus que ce que nous faisons aujourd’hui. Cela passe notamment par l’intermédiation locative. Il faut anticiper les cessions bien en amont, en proposant un accompagnement collectif à ceux qui n’ont pas de potentiel repreneur pour cela aboutisse à des installations.

Cela passe-t-il aussi par le portage de foncier ?

Oui, voire de portage de capital d’exploitation pour certains, si on veut installer des hors cadres familiaux car on en a besoin. On arrive à le faire sur des petits projets de diversification voire des projets moyens, mais dès que le capital est beaucoup trop important, il y a des freins. Nous attendions des annonces de l’État sur ce sujet pour orienter les propriétaires vers des jeunes et rendre les dispositifs plus incitatifs, sans que cela coûte forcément. Car nous savons qu’aujourd’hui, ce n’est pas la peine de demander à l’État des financements qu’on ne pourrait pas avoir.

Vous plaidez donc pour des incitations fiscales ?

Oui, absolument afin de pouvoir faire avec les exploitations sociétaires ce qu’on sait faire avec le foncier : le découper pour satisfaire plusieurs projets. La fiscalité actuelle n’est pas du tout adaptée lorsqu’on essaie de démembrer des sociétés, (N.D.L.R. : en raison de l’imposition de la plus value latente lors de la vente du foncier).

Concernant la régulation des marchés fonciers, y a-t-il des « trous dans la raquette » que vous identifiez ?

Oui, il y en a toujours, et le problème c’est lorsque l’on bouche un trou, il y a des gens très compétents pour en refaire d’autres à côté. Je l’ai encore dénoncé la semaine dernière en comité technique dans la Marne chez moi (N.D.L.R. : Thierry Bussy est polyculteur-éleveur dans la Marne). J’ai dit qu’il arrive un moment où on ne peut pas nous reprocher de faire monter les prix – ce qui n’est pas le cas -, parce que ceux qui font monter les prix du foncier agricole, ce sont quand même les agriculteurs eux-mêmes. J’insiste parce que c’est la réalité. Nous n’allons jamais au-dessus du prix du marché. Lorsque nous voyons du foncier cher, nous intervenons et lors des appels à candidature, nous pouvons avoir 30 candidats. Si cela ne passe par nous, ces personnes n’auront jamais de foncier.

Quelles sont précisément les opérations qui échappent à la régulation ?

Le démembrement de propriété, le démembrement de parts de sociétés avec des pactes d’associé, les baux emphytéotiques, voire également des baux de complaisance et la sous-location. Nous allons beaucoup moins vite que certains centres de gestion. Il y a une imagination à contourner les règles, c’est un sport franco-français qui ne sert pas la cause agricole.

Quelle est alors la solution face à cela ?

La solution est d’être en amont des cessions et d’être proactif. Il faut aller chercher les gens, leur proposer un accompagnement, cela demande du temps et des compétences. Nous l’avons commencé dans certains départements. Il faut qu’on montre qu’il y a des alternatives au modèle qui est de voir son exploitation reprise par le voisin.

Certains qualifient la Safer de « marchand de biens ». Je fais notamment référence à l’action de la FNAIM auprès de la Commission européenne. Comment réagissez-vous à ce type de propos ?

Dans cette procédure, c’est l’État qui répond. Nous lui avons apporté des réponses. Moi, je suis à l’aise. Nos appels à candidature sont des opérations validées par nos commissaires du gouvernement, ce qui nous sécurise. Quand nous faisons une acquisition avec du bâti résidentiel, il y a en général un enjeu sur le foncier attaché. La moyenne pour ce type de dossiers est de 10 hectares. Nous avons des missions de service public confiées par le législateur avec des sociétés anonymes (N.D.L.R. : les Safer sont des sociétés anonymes sans but lucratif, sans distribution de bénéfices). Malheureusement, nous avons de plus en plus d’attaques auxquelles il faut faire face.

Quels types « d’attaques » ?

Ce sont des recours contre les décisions ou des personnes mécontentes qui appellent leurs députés ou sénateurs. Nous avons de plus en plus de demandes de justification. C’est un travail constant de faire connaître nos missions aux élus, d’autant plus que nous avons de moins en moins d’élus « ruraux ».

Au-delà des incitations fiscales défendues, que demandez-vous aujourd’hui au gouvernement si vous deviez rencontrer demain la ministre de l’Agriculture ?

Nous discuterions du bilan de la loi Sempastous (N.D.L.R. : sur le contrôle des cessions de parts sociales de sociétés), du financement des Safer des Dom, voire des Safer tout court. La forêt est un sujet important en lien avec l’indépendance énergétique et la restructuration du morcellement. Nous insisterions aussi sur l’importance de la protection du foncier agricole (N.D.L.R. : en vue des prochains débats à l’Assemblée nationale sur la loi Trace sur l’artificialisation des terres).

Sur le financement des Safer, quelle est la problématique exactement ?

Cela peut être difficile certaines années et en fonction des marchés. Les Safer n’ont pas de financements publics. Nous sommes dans une période compliquée pour le monde agricole avec une grosse partie de la production en difficulté, comme en viticulture. En grandes cultures, l’année est plutôt bonne en termes de rendements, mais les prix sont en grande partie en dessous du coût de revient. Ce sont des inquiétudes qui nous font dire qu’il y aura peut-être de la déprise, notamment dans les régions viticoles. Je ne dis pas que notre financement est fragile, parce que c’est lié à l’activité, mais c’est toujours un point d’interrogation, notamment lorsque vous avez des missions de service public. Mais la priorité c’est de trouver une solution pour le financement des Safer des Dom.

Il n’y a donc pas d’urgence pour les Safer de métropole ?

Non mais c’est aussi un sujet sur lequel on discutera pour connaître la position de l’État. Ca me va très bien de fonctionner avec des sociétés anonymes qui n’ont pas de financement public mais qui ont des missions de service public, à partir du moment où elles peuvent les assumer. Je suis toujours prudent quand on parle de ces sujets-là parce certains nous dirons qu'il faut que nous fassions du business. J’ai toujours dit à mes services qu'à partir du moment où il n’y a pas de plus-value d’intérêt général dans un dossier ou qu’il est à risque, nous ne le faisons pas. Ce n’est pas parce qu’on sera en négatif à la fin de l’année que nous devons faire des dossiers pour essayer de boucher le trou. Ça, c’est niet!

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